Maja Daniels, photographe et réalisatrice, aime jouer avec les frontières entre documentaire et fiction. En partant de l’histoire ancienne d’une jeune fille accusée de sorcellerie dans un village de Dalécarlie, elle entremêle passé et présent, mythe et réalité. Et interroge le cours de l’Histoire. À l’occasion de Paris Photo, l’exposition dévoile quelques-uns des clichés les plus intrigants de cette série, "On the Silence of Myth", qui a été révélée au public suédois en 2023.
Älvdalen, en Dalécarlie. Par une froide journée de l’automne 1667, une jeune fille de douze ans, Gertrud Svensdotter, est accusée de sorcellerie. Son méfait : elle aurait marché sur l’eau, par l’entremise de forces surnaturelles. Cet épisode marque le début de la chasse aux sorcières en Suède, une période d’hystérie collective et de terreur qui s’étendra sur huit ans et coûtera la vie à près de 300 personnes. En Suède comme dans le reste de l’Europe, les procès en sorcellerie signent la fin de la société féodale et ouvrent l’ère moderne et capitaliste. Dans ce nouvel ordre du monde empreint de peur, le rôle des femmes et la vision de la nature changent radicalement : la liberté des femmes est réduite (elles sont cantonnées au foyer et à l’enfantement), la forêt cesse d’être un lieu de mythes pour devenir une ressource naturelle.
Maja Daniels a passé une grande partie de son enfance à Älvdalen, bercée par les histoires que lui racontait sa grand-mère. Dans sa série On the Silence of Myth, elle conjugue au présent l’histoire de la fille qui marchait sur l’eau, et laisse le monde dans lequel vivait Gertrud renaître selon d’autres lois. Dans ce monde nouveau, la suite des événements n’est pas encore déterminée. Ainsi, la photographe interroge la manière dont les idéologies dominantes et la culture du silence en Suède ont façonné une certaine compréhension du monde.
Pour Maja Daniels, la photographie et le film sont des lieux magiques qui défient la connaissance, fusionnent le passé et l’avenir, redéfinissent les frontières du monde tel que nous le connaissons. On pourrait arguer que la photographie, tout comme les mythes, repose sur une dangereuse tromperie. La magie n’est-elle pas, en fin de compte, la promesse de quelque chose en échange de rien ? C’est peut-être aussi son pouvoir le plus rédempteur : tout ne doit pas, ou ne peut pas, être mesuré et expliqué.
La plupart des œuvres de Maja Daniels sont le fruit de performances en pleine nature, où elle façonne ses propres rituels et crée de nouvelles mythologies. Sa démarche s’inscrit dans le désir surréaliste de réenchanter le monde. Ici, la forêt, qui est menacée par le changement climatique, devient plus qu’une simple ressource naturelle. Elle est un lieu de mémoire, de langage, d’histoire, de culture, de mysticisme et d’imagination. Peut-être la magie n’est-elle pas un acte, mais une façon de penser.
Commissaire d’exposition : Magnus af Petersens
Magnus af Petersens est coéditeur, avec Kristyna Müller, et coauteur, d’un livre sur la photographie contemporaine suédoise, Peripheral Vision: Images From the Fringe of Europe, qui vient d’être publié par Centrum för fotografi et Art & Theory Publishing. L’ouvrage rassemble 20 photographes suédois et sera présenté lors du vernissage de l’exposition.
Les photographes présentés : Ikram Abdulkadir, Karin Alfredsson, Elin Berge, Maja Daniels, Charlotta Hammar, Erik Holmstedt, Martina Hoogland Ivanow, Cia Kanthi, Heikki Kaski, Klara Källström & Thobias Fäldt, Mårten Lange, Inka & Niclas Lindergård, Eric Magassa, Martin Magntorn, Chris Maluszynski, Katarina Pirak Sikku, Mia Rogersdotter Gran, Sofia Runarsdotter, Johannes Samuelsson et Märta Thisner.
En collaboration avec Centrum för fotografi et en partenariat avec Paris Photo.